Centième anniversaire de l’armistice du 11 novembre 1918

Témoignages

Extraits de la LETTRE D’ELISE BIDET A SON FRERE, LE POILU EDMOND MASSE, ET A SES PARENTS VIGNERONS DANS L’YONNE.  (in : Paroles de Poilus, ed Librio 1998).

                                                                                                              Mercredi 13 novembre 1918

Mon cher Edmond,

             Enfin c’est fini. On ne se bat plus ! On ne peut pas le croire, et pourtant c’est vrai ! C’est la victoire comme on ne l’espérait pas au mois de juin dernier, et même au 15 juillet ! Qui aurait osé espérer à cette époque une victoire aussi complète ! Et en si peu de temps, pas quatre mois, c’est merveilleux ! Je ne sais pas comment vous avez fêté l’armistice à Jussy (…)   Ici, à Paris, on l’a su à 11heures par le canon et les cloches ; aussitôt tout le monde a eu congé partout ; aussitôt les rues étaient noires de monde.  Toutes les fenêtres pavoisées, jamais je n’ai tant vu de drapeaux (…). Tout le monde a sa cocarde… tous les ateliers en bandes, hommes et femmes bras dessus bras dessous, drapeaux en tête, parcouraient en chantant les boulevards et les grandes avenues… Et les Américains juchés sur leurs camions n’ont pas cessé de parcourir la ville… Quelle ovation sur leur passage ! Et les quelques poilus en perme, quelle fête on leur faisait aussi ! … Et cette vie a duré lundi après-midi et mardi toute la journée. (…)

Tout cela, c’est bien beau et combien de cœurs en joie, mais aussi combien d’autres pleurent les leurs qui ne voient pas ce beau jour. Mais que leur chagrin aurait été encore plus grand si la mort des leurs n’eût servi à rien ! (…) Tu vois, maman, que j’avais raison quand je te disais d’espérer, que tu ne voulais pas croire que nous aurions le dessus. (…)  J’avoue que j’ai désespéré bien des fois aussi en dernier ; nous avions eu tant de désillusions. Tout de même, quel honneur pour Foch et Clémenceau ! On les porte en triomphe et c’est mérité. Et toi, Jeanne, ta joie doit être grande aussi mais pas sans ombre. Tu dois avoir aussi gros au cœur de pense que tes deux frères ne verront pas un si beau jour, eux qui y ont si bien contribué ; mais qui sait s’ils ne le voient pas ! Je comprends la peine que tes parents doivent ressentir en pensant à vos chers disparus et surtout quand les autres rentreront. Il n’y  pas de joie sans douleur ; dis-leur bien que je prends d’autant part à leur peine que je la ressens moi-même. Maurice et moi avons tant prié et vous aussi sans doute que Edmond nous revienne sain et sauf ; nous avons été exaucés ; remercions Dieu. Quand rentre-t-il à Lyon et pour combien de temps ? Quand sera-t-il libéré. Les pourparlers de paix vont-ils durer longtemps ? Peut-être jusqu’au printemps ? Enfin le principal, c’est qu’on ne se batte plus. (…)

Sois heureuse, maman, ton fils te sera rendu ; tu seras récompensée de ses peines.

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Extraits de l’ ALLOCUTION PRONONCEE A NOTRE-DAME DE PARIS AU « TE DEUM » de la victoire par  S.E. le Cardinal AMETTE, 17 novembre 1918

(…). Et nous avons voulu tout d’abord faire mémoire des martyrs de cette grande cause, des vaillants officiers et soldats qui, sur terre, sur mer ou dans les airs, ont donné leur vie pour la faire triompher. Toutes les voix qui se sont élevées en ces jours pour saluer ce triomphe ont évoqué leur souvenir et leur ont rendu hommage.  Notre hommage à nous, croyants,  le seul qui puisse leur être utile dans le monde de l’au-delà où ils sont entrés, c’est une prière. Nous demandons à Dieu de leur donner à tous sans retard, en récompense de leur sacrifice, la gloire et le bonheur de l’éternité. C’est là qu’il faut les voir, ô vous qui les pleurez. (…)

Cette victoire, quatre années durant, nos prières unanimes et persévérantes l’avaient implorée de Dieu. De tous les pays alliés, des supplications ardentes, publiques ou privées,  montaient sans se lasser vers le ciel, confiantes dans la justice de notre cause. Le courage des combattants, les souffrances des blessés, le sacrifice des mourants, les larmes des épouses et des mères donnaient à ces supplications une puissance à laquelle ne résiste pas le cœur du Dieu infiniment bon.  Et aujourd’hui nous sommes exaucés. Le triomphe est venu, plus rapide, plus éclatant, plus complet que nous n’osions l’espérer. Oui gloire et actions de grâces en soient rendues à Dieu.   Est-ce à dire qu’en glorifiant  Dieu nous rabaissions le mérite de ceux qui ont gagné la guerre ? Est-ce à dire que nous méconnaissions le génie des chefs, l’héroïsme des soldats, la puissance des armements, les efforts surhumains des nations alliées ? N’est-ce pas au contraire décerner à l’homme un suprême honneur que de proclamer qu’il a eu Dieu pour coopérateur dans une grande œuvre ?  Et ne sont-ils pas les premiers à rendre le même témoignage, nos grands généraux vainqueurs ? C’est la pensée souvent exprimée de cet illustre maréchal de France, auquel il a été donné d’achever l’œuvre de victoire et de libération et vers qui vont l’admiration et la gratitude du monde entier : « Quelle serait ma satisfaction, m’écrivait-il  il y a trois jours, de me joindre à vous dimanche pour chanter un Te Deum d’actions de grâces dans notre vieille basilique nationale : Ce Te Deum, je le chanterai de tout cœur là où m’appelleront mes fonctions, à Paris si elles m’y amènent, à l’église de mon quartier général dans le cas contraire, réunissant ainsi mes devoirs envers Dieu et envers la patrie.»    (…)