La croix : scandale ou signe d’amour ?

Dans L’1 Visible N° 47 /Avril 2014

 

Débat : La croix st le symbole de la foi chrétienne, depuis que le Christ est mort sur la croix il y a plus de 2000 ans. Pour certains elle est un symbole scandaleux de souffrance. Pour les chrétiens, elle est le signe de l’amour de Dieu.

 

Lili sans gêne : Cette journaliste s’est toujours intéressée aux questions religieuses. Elle a lu la Bible. Elle pose sans complexe les questions que beaucoup n’osent pas poser.

Lili Sans-Gêne : La religion chrétienne affirme que le Christ a sauvé le monde par la croix. S’il est vrai­ment le Fils de Dieu, il est dingue d’avoir accepté une telle mort…

Père Jean Guibert : Vous avez pour une part raison, le Dieu des chrétiens est bel et bien fou. Mais, rassurez-vous, au niveau du mental, le Christ se porte très bien… Il est juste fou d’amour. La croix, c’est le grain de folie de l’amour de Dieu. Si vous voulez absolument enfermer Dieu dans les limites de votre petite tête sans accepter qu’il soit littéralement fou d’amour, vous n’arriverez à rien. Je voudrais savoir par ailleurs si vous oseriez taxer une jeune maman de masochisme, elle qui désire concevoir un enfant, alors qu’elle sait pertinemment qu’elle ne pourra pas échapper à la terrible douleur de l’accouchement. C’est pareil pour le Christ, sauf que son désir de nous donner sa vie est infiniment plus grand. Il n’a pas voulu mourir dans le sang et les douleurs: il a voulu nous aimer jusqu’au bout, pour nous sauver, et nous donner la vie éternelle.

Lili Sans-Gêne : Tout cela n’est pas très cohérent : comment Dieu, s’il est le Père de Jésus, a-t-il pu ainsi l’envoyer au charbon? Si le Fils n’est pas maso, pour le coup, c’est son Père qui est vraiment sadique !

Père Jean Guibert :  Si le Père éternel a permis la mort de son Fils, ce n’est pas pour le tuer, mais pour tuer la mort ! Dieu est donc le contraire d’un sadique. Saint Bernard disait: « Le Père n’était pas avide du sang de son Fils, mais de notre salut, parce que le salut était aussi dans le sang du Christ. » Vous pensez vraiment que les souffrances du Fils ont laissé complètement indifférent son Père qui le chérissait? L’amour, ce sera toujours la seule clé permettant d’ouvrir cette porte blindée de la croix du Christ qui sauve le monde. C’est par passion amoureuse que le Père et le Fils se sont jetés dans la passion doulou­reuse. Au final, pensez-vous que c’est à nous de donner à Dieu des leçons sur la manière dont il aurait dû nous sauver… ou plutôt à nous, d’accueillir humblement les leçons d’amour de Jésus sur la croix?

Lili Sans-Gêne : Mais enfin, lieu ne peut pas sauver par l’absurde.

Père Jean Guibert :  Au contraire, Dieu ne nous a pas sauvés par de l’absurde, Il nous a sauvés de l’absurde! En effet, avant la venue de Jésus, l’absurde de la mort régnait sur le monde. Par sa résurrection, le Christ a littéralement changé la mort de l’intérieur. Avant, cette mort était un mur sur lequel on s’écrasait. Grâce à lui, un passage — une Pâque — est désormais percé dans ce mur. Il est donc venu habiter l’absurde de la violence des hommes, des souffrances atroces jusqu’à la mort, pour mieux les changer de l’intérieur. Désormais tout homme qui fait le grand passage, meurt « dans » le Dieu de la Vie.

 

Lili Sans-Gêne : La croix, ce n’est quand même pas un programme très attirant ni très vendeur pour le grand public!

Père Jean Guibert :  Le message de la croix n’a pas grand-chose à voir avec ce que les raccourcis du monde en disent. C’est en effet la plus inouïe des bonnes nouvelles. Une précision tout de même. Certes toute personne douloureuse est rejointe par le cru­cifié, mais il appartient à cet être en souffrance de se laisser pleinement rejoindre par le Christ. L’amour ne s’impose pas. Mais si la personne s’ouvre à la présence vivante et aimante du ressuscité au cœur de ses peines, elle ne sera plus seule. La solitude dans la souffrance rend l’épreuve tellement plus lourde… Vous avez peut-être entendu cette parole merveilleuse de l’écrivain Paul Claudel : « Le Christ n’est pas venu expliquer la souffrance, mais l’habi­ter de sa présence » ? Depuis la résurrection du Christ, personne ne nit plus dire « Je suis trop seul dans a croix. »

Lili Sans-Gêne : Quand même, vous les chrétiens, on a parfois l’impression que vous aimez souffrir.

Père Jean Guibert :    Non, il ne faut surtout pas s’inventer des croix. Mais quand elles se présentent sur le pas de votre porte, ne faites pas mine, comme si elles n’étaient pas là, cher­chez à les vivre avec Jésus. Petit à petit, si vous passez de la révolte à amour, de la raideur à l’abandon, le Christ vous fera goûter à sa présence. Comme sa présence est amour et paix, ces fruits seront les vôtres. Attention, cette expérience de foi n’enlève pas, comme par enchante­ment, notre tourment, mais elle en change complètement le sens, et ce n’est pas rien. Le physiologiste Claude Bernard disait: « Je ne me plains pas de souffrir, mais de souf­frir pour rien. » Avec Jésus, il y a non seulement du sens mais « le » sens suprême, puisqu’il est Dieu, vie et amour infini.

Lili Sans-Gêne : La souffrance d’une personne ne peut en aucune manière aider les autres: elle ne sert à rien.

Père Jean Guibert :    Tout d’abord, ce n’est pas la souffrance en tant que telle qui peut faire du bien aux autres: c’est l’amour vécu au cœur de cette souffrance. La rédemption – c’est-à-dire le salut des hommes par le Christ – est une grande « entre­prise de recyclage ». Tout ce que nous jetons à la poubelle – nos souf­frances, qui ne servent soi-disant à rien – si nous les vivons unis à Jésus dans l’amour, ce dernier va se servir de ce surcroît d’amour qui vient de nos cœurs pour le faire rejaillir en un don d’amour sur le monde. Mon­seigneur Oscar Romero, évêque de San Salvador, avait pris fait et cause pour les pauvres. Peu avant d’être assassiné le 24 mars 1980 alors qu’il célébrait la messe, il déclarait: « Si on me tue, je ressusciterai dans le peuple. Je le dis sans jactance, avec la plus grande humilité. Si on arrivait à me tuer, je pardonne et je bénis ceux qui le font. Le martyre est une grâce de Dieu que je ne crois pas mériter. Mais si Dieu accepte le sacri­fice de ma vie, que mon sang soit semence de liberté et signal d’espé­rance. »

 

 

Le Père Jean Guibert :    Auteur de plusieurs ouvrages de spiritualité, il est prêtre du diocèse de Nantes. Après avoir été curé paroisse, il est désormais détaché par son évêque pour la prédication de retraites.