Écologie, les chrétiens s’y intéressent-ils ?

Dans L’1 Visible N° 60 de Juin 2015

 

Débat. La préservation de la planète est un sujet brûlant. Pourtant, les chrétiens sont parfois perçus comme indifférents à ces questions écologiques. À tort ou à raison? À l’occasion des Assises chrétiennes de l’écologie, qui auront lieu à Saint-Étienne du 28 au 30 août 2015, le débat est lance entre Lili Sans-Gêne et Laura Morosini

 

Lili sans Gêne :   Dans le film Avatar, on voit à quel point la nature est pure: elle est notre mère nourricière, nous lui devons tout. Nous devrions chan­ger notre manière de vivre pour la protéger, plutôt que de nous conduire comme de dangereux prédateurs. Si nous la regardions comme une com­munauté à laquelle nous apparte­nons, nous l’aimerions et nous la respecterions beaucoup plus.

Laura Morosini : je ne choisirais pas le terme de «pure », concernant la nature. Selon les textes de la Genèse « Dieu vit que cela était bon », et cette affirmation est aussi répétée pour les humains. Le pape François a aussi affirmé récem­ment: «Dieu pardonne toujours, les hommes quelquefois, mais la nature, sœur nature, mère nature, non. » Cela montre bien que nous ne devons pas oublier que nous avons à rester humbles dans cette Création, œuvre de Dieu qui nous dépasse.

 

Lili sans Gêne :   Selon certains écolos radicaux, dans la nature, toutes les espèces sont égales en droits et en valeur: l’homme n’est pas au-dessus de l’écosystème, il n’a qu’à prendre sa petite place dans la biosphère, sans déranger les autres espèces..

Laura Morosini : Dans le livre de la Genèse, les humains ont été créés le même jour que les grands animaux. Cela nous parle plus de fraternité que d’égalité et met surtout l’accent sur la nécessaire prise de conscience de nos limites en tant qu’espèce. Dans la Genèse, dans une dimension antérieure au péché, Dieu donne une alimentation végétarienne aux humains comme aux animaux. Cette prescription ne sera rompue qu’après l’épisode du déluge. Tout cela devrait nous conduire à une attitude de dialogue envers le mouve­ment écologiste, dont Benoît XVI a loué le discours prophétique lors de son intervention de 2011 au Bundestag, en soulignant qu’il fallait « écouter le langage de la nature ».

 

Lili sans Gêne :   D’un côté, nombre de militants écologistes affirment que nous sommes beaucoup trop nom­breux sur cette terre, que la surpo­pulation épuise la nature et qu’il faut vite réduire la démographie. De l’autre, les chrétiens eux sont contre la contraception et l’IVG. Qui croire?

 

Laura Morosini : Ma longue expérience du monde écologiste ne corrobore pas cette affirmation. La crainte de la « bombe démographique » était très vive dans les années soixante-dix, mais aujourd’hui la préoccupation dominante est de constater que, même si nous produisons (largement) de quoi nourrir toute l’humanité, la mauvaise répartition des richesses de la terre et nos styles de vie font que près d’un milliard de per­sonnes souffre encore de la faim. Par ailleurs, cette année plus de 20 millions de réfugiés climatiques ont été recensés dans le monde. Cela rejoint les préoccu­pations de l’Église, qui parle aussi de ces questions en termes de « justice », de « destination universelle des biens » ou de souci des plus pauvres.

 

Lili sans Gêne :   Les religions procla­ment le caractère sacré de la Création, mais ne s’offusquent pas beaucoup de sa profanation par l’homme. Pour vous ce n’est pas grave puisqu’on n’est ici que de passage ! C’est pour cela qu’au fond, les chrétiens ne s’intéressent pas à l’écologie ; c’est secondaire pour eux.

 

Laura Morosini : Effectivement, même inconsciemment, les chrétiens ont trop longtemps laissé les enjeux écologiques au vestiaire des églises. Les raisons sont nombreuses et pas seulement théologiques : la priorité est donnée au salut et à la prière (ce qui est normal) et aux besoins urgents des humains en souffrance (maladie, chômage, solitude…). Les peuples exploités ou victimes des injustices écologiques, pourtant nom­breux, ainsi que la destruction des habitats et des espèces, sont alors « en dessous de la pile ». Heureuse­ment, grâce à la Conférence sur le climat à Paris, cette année est un kaïros (un moment opportun, provi­dentiel) pour changer et comprendre que tout est lié, et que notre société qui idolâtre la consommation produit beaucoup de souffrance.

 

Lili sans Gêne : Pour les chrétiens, Dieu a donné la nature à l’homme pour qu’il la domine, la soumette et s’en serve selon ses besoins et ses désirs : c’est ce qui est écrit dans la Bible. Votre Dieu n’est pas très écolo dis donc !

 

Laura Morosini : Il est utile, pour mieux comprendre cette citation, de lire les deux récits de la création présents dans livre de la Genèse. Si le premier chapitre utilise le verbe « dominer » verbe d’autorité, mais pas de tyrannie, utilisé par exemple pour désigner le maître de maison », le dominus qui rend soin de sa maisonnée, domus), le chapitre 2 utilise plutôt le verbe cultiver et garder » à la manière du jardinier, précisant ainsi le sens véritable de cette « domination ». À notre époque, ne sommes-nous pas appelés, après nous être comportés en maîtres absolus, à retrouver le vrai sens de notre place dans l’univers? Le jardinier ‘est ni le Créateur ni une simple fleur du jardin, mais son action vise le bien de toute la Création et la pérennité des plantes et du jardin confiés à sa resp­onsabilité.

 

Lili sans Gêne : À cause de ce qui est dit dans la Genèse sur la soumission de la terre par l’homme, les chrétiens ne cherchent pas à pro­téger la planète, bien au contraire, ils la voient plutôt comme un adversaire contre lequel il faut lutter. Le christianisme est totale­ment centré sur l’homme : la nature n’est qu’un objet.

 

Laura Morosini : Cette critique, bien qu’excessive, n’est pas historiquement dénuée de fondement. C’est l’une des raisons pour lesquelles, lors des rassemblements œcuméniques des années quatre-vingt, qui ont donné naissance au « temps pour la création » (célébré le 4 octobre par les catholiques), les représentants des Églises ont veillé à écrire des mots de repentance confessant n’avoir « pas témoigné de l’amour de Dieu pour toutes et chacune de ses créatures » (Déclaration de Bâle de 1989).

 

Lili sans Gêne :   De toute façon, les chrétiens ne se préoccupent que de morale et de religion. Ce qui concerne la planète ne les intéresse pas. Je ne vois vraiment pas ce qu’ils peuvent apporter à la réflexion sur l’écologie: il n’y a aucun rapport entre la foi et l’écologie !

 

Laura Morosini : Mais si, on constate des questionnements spirituels forts chez les personnes soudeuses d’éco­logie : Qui est mon prochain? Quelles conséquences ont mes actes? Peut-on sauver cette terre? Quel est le rôle des humains sur terre? Tout cela mérite des échanges profonds. Dans notre tradition, de nombreux théo­logiens et mystiques (souvent cités par Jean Bastaire) voient dans la nature un reflet de Dieu et affirment avec saint Paul que c’est toute la Création qui est promise au salut!

 

Lili sans Gêne : En tout cas, personne dans l’Église n’a écrit sur la grandeur de la nature, importance d’en prendre soin… Depuis la Genèse – qui commande à l’homme de soumettre la terre – il n’y a plus rien d’écrit sur le rapport de l’homme et de la nature : l’Église est en retard !

 

Laura Morosini : Les saints et les mys­tiques sont au contraire nombreux: saint Irénée de Lyon et sa « résurrec­tion de l’univers », les pères du désert et leur « convivialité avec les bêtes sauvages », saint François d’Assise bien sûr, sainte Hildegarde de Bingen (docteur de l’Église!), plus récemment Teilhard de Chardin! Certes jusqu’ici il manquait un « grand texte » et Vatican II est passé à côté de cet enjeu, mais on peut désormais remplir des livres des phrases prononcées par les papes sur l’écologie (dès Paul VI). Il fallait toutefois un texte dédié pour marquer l’importance du sujet, heu­- reusement une encyclique ne devrait plus tarder. Les initiatives de chrétiens « de base » sont très nombreuses et seront présentées lors de prochaines Assises chrétiennes de l’écologie à Saint-Étienne, grâce au travail de lien du jeune mouvement CUT (Chrétiens unis pour la terre) qui œuvre à allier foi et écologie, en reliant toutes les personnes et organisations actives de bonne volonté.

 

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