Bioéthique : comment l’opinion est-elle anesthésiée ?

D’assouplissement en assouplissement, de transgression en normalisation, l’opinion finit par trouver acceptable des pratiques qu’elle aurait dénoncées dix ans ou vingt ans plus tôt.

En pleine crise sanitaire, le Sénat a voté jeudi dans la douleur le projet de loi de bioéthique, amputé de l’ouverture de la PMA à toutes les femmes. Il n’empêche, le gouvernement vise son adoption définitive avant l’été, comme s’il s’agissait d’une urgence absolue, alors que le projet suscite la controverse, par l’ampleur des enjeux qu’il pose. Des manifestations ont eu lieu ces derniers jours un peu partout en France, dénonçant l’instrumentalisation de la vie humaine et les dérives éthiques contenues dans ce texte. Cependant, la majorité des Français semble totalement anesthésiée. Comment l’expliquer ?

De la transgression à l’évidence

L’analyse au fil du temps de la psychologie de l’opinion montre une malléabilité de la pensée collective sur les sujets les plus transgressifs. Les gouvernements successifs ont compris que pour forcer l’opinion à adhérer à une pratique nouvelle, il fallait d’abord lui offrir un cadre légal, puis la faire admettre peu à peu comme une évidence, la normaliser dans les esprits. Et ceci, jusqu’à l’étape suivante, qui sera celle d’une transgression d’un niveau supérieur. Nouvelle transgression qui sera finalement elle-même légalisée puis admise comme un fait commun.

Ainsi, d’assouplissement en assouplissement des cadres, de transgression en normalisation, l’opinion finit par trouver parfaitement acceptable des idées ou des pratiques qu’elle aurait dénoncées dix ans ou vingt ans plus tôt. L’avortement considéré comme un mal en soi mais toléré dans les situations « exceptionnelles », est devenu dans l’esprit collectif, à force de banalisation et d’atténuations, un « droit » fondamental, pratiquement un acquis de civilisation. C’est une véritable révolution silencieuse qui s’est produite dans l’esprit collectif, pour que de la suppression d’une vie humaine, jugée légale mais contrevenant par « dérogation » à l’article premier de la loi Veil (« la loi garantit le respect de tout être humain dès le commencement de la vie »), on aboutisse à la conviction que supprimer une vie avant la naissance est un bien à défendre comme un droit universel.

Violences muettes

La conscience collective s’affaiblit et pourrait-on dire, s’obscurcit d’année en année. Le sens du bien et du mal devient flou, il s’évapore dans l’air ambiant. Les partisans du mariage entre personnes de même sexe peuvent dire : « Alors, il est où, votre effondrement de civilisation ? Ne voyez-vous pas que les gens continuent à vivre normalement ? » C’est pourtant une rupture profonde, une cassure sans précédent qui s’est produite, modifiant de façon radicale ce que la civilisation avait mis tant de siècles à construire. Les grandes fractures sont muettes, et elles préparent le terrain à des violences que l’on ne pourra plus contenir. Un embryon ne crie pas quand on le tue. Mais les silences officiels sont lourds de ces vies innocentes sacrifiées au nom du « droit individuel ». De cela, il faudra rendre compte. 

De même, un enfant né par GPA et à qui on enlève délibérément sa mère pour le confier à deux hommes, subit une brutalité sans nom. Il ne criera pas quand on le confiera à ses « nouveaux parents », mais inconsciemment, cet arrachement s’accompagnera d’une très grande violence psychologique, affective, une blessure d’abandon et une cassure d’identité. Il lui faudra comprendre pourquoi il a été objet d’un contrat, conçu par insémination, porté par une femme pendant neuf mois, puis abandonné par celle qui l’a porté. Nul ne peut ignorer l’impact psychologique sur le développement des événements de vie traversé par un enfant depuis sa conception et jusqu’à sa naissance. L’avenir réserve de beaux jours aux spécialistes de la psychologie de la conception, devant l’éclatement des filiations cautionnés par la loi et aux dégâts que cet éclatement engendrera dans la construction des identités.

Accepter l’impensable

Qui aurait pu admettre il y a encore deux ans, que des enfants pourraient être conçus pour être ensuite abandonnés légalement ? Pourtant nous y voici. Nous sommes en plein dans le règne de la société de consommation, du grand marché procréatif, au cœur d’une société qui tolère le commerce des enfants. À force d’enrobages et de dédramatisations, sous la pression insidieuse des médias, l’opinion peu à peu se prépare à accepter l’impensable : la dépersonnalisation de la maternité. Souvenons-nous du jugement de Salomon. La vérité est comme un boomerang : elle nous reviendra en pleine face, violemment, au moment où nous nous y attendrons le moins.

Sabine Faivre – Publié le 04/02/21 sur le site Aleteia catholique